"La non-violence est la plus grande force dont dispose l'espèce humaine"
GANDHI

mardi 29 mars 2011

Je me sens coupable

 Je me sens coupable d’être née morte un matin glacé de janvier 62 et d’avoir finalement refusé de retourner dans les limbes de l’outre-monde d’où je venais ; d’avoir permis à mes poumons d’ouvrir leurs alvéoles à l’élément aérien ; d’avoir, à partir de ce jour, fait tomber devant mes yeux le rideau rose du bonheur.

Je me sens coupable d’avoir grandi dans un monde qui avait si chaud qu’il a jeté aux orties son manteau d’humanité ; un monde dont les yeux ne s’ouvrent que sur ce qui brille ; un monde dont le cœur ne bat que pour l’orgie sanctifiée de la consommation.

Je me sens coupable d’avoir cédé à l’onctuosité d’un optimisme consolateur ; d’avoir cru que tout allait très bien dans le meilleur des mondes ; d’avoir cru en la vie au point de la donner trois fois, alors même qu’un premier nuage de poussières mortelles passait au-dessus de nos têtes.

Je me sens coupable d’avoir élevé mes enfants en gentilshommes, pour ensuite les donner en pâture à la gueule des requins actionnaires du vivant ; de leur avoir enseigné à penser sur cette terre d’où la pensée a depuis longtemps déserté ; d’avoir partagé avec eux les derniers lambeaux de mon rideau rose.

Je me sens coupable de leur avoir appris à ne pas céder au chant des sirènes des marques, le seul vêtement qui convienne à nos corps étant celui du bien être ; de leur avoir inculqué le sens de l’observation, de l’attention, de la patience, dans une société qui ne tient pas en place et ne jure plus que par l’éphémère ; d’avoir fait d’eux des étrangers.

Je me sens coupable d’avoir un jour poussé la porte du premier supermarché qui a fleuri sur le sol de ma commune ; geste anodin mais qui, multiplié à l’infini, a fait sauter le couvercle de la boîte de Pandore, dans l’indifférence la plus totale ; geste innocent qui nous a tous précipités dans le gouffre béant de la consommation. Je me sens coupable d’avoir assassiné le petit commerçant qui me disait « Bonjour ! », le sourire aux lèvres.

Je me sens coupable d’avoir les bras coupés et la langue arrachée, quand ma mère la terre hurle sa souffrance et son désespoir ; j’ai cru avec elle que mes frères humains auraient appris de leurs erreurs et gagné suffisamment en sagesse pour ne pas les répéter ; j’ai cru en l’avenir.

Je me sens coupable d’être humaine, d’appartenir à cette race ignoble qui ne s’arrêtera que lorsque ses yeux ne verseront plus que des larmes de cendre ; que lorsque les couleurs de la vie auront complètement disparu à la surface de notre planète ; mais il sera alors trop tard.

Je me sens coupable…
Nous sommes tous coupables.

Marie Fontaine

4 commentaires:

  1. j'aime beaucoup les passages sur vos enfants, votre culpabilité d'avoir donné la vie et d'avoir élever vos enfants comme de gentilhommes pour ne les donner finalement qu'en pature a la société... Les mots sont parfaitement en place et l'idée aussi ! Félicitations !

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  2. Le texte est très fort, il me fait penser au roman de Cuelho (la 5ème montagne) Personnellement je poserais davantage le sujet en termes de responsabilité plutôt que de culpabilté... C'est ce qu'on fait trop souvent dans le monde judéo-chrétien qui ne cesse de nous culpabliser sur tout... mais c'est peut être aussi cela que Marie souhaite dénoncer dans son message ? François

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  3. Merci à vous deux !
    Comme je l'expliquais à Laëtitia, c'est volontairement que j'ai choisi la culpabilité alors qu'il s'agit bien évidemment de responsabilité... C'est purement ironique, afin de donner plus de force, d'impact, au message. C'est malheureux, mais dans notre société "coupable" est un mot qui "parle" aux gens, infiniment plus que "responsable".

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  4. Magistral Marie, comme toujours !!!
    Tu as vraiment une plume divine !!!
    Je t'embrasse fort fort
    Sourire
    Laëtitia

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